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Maj le 06/12/2023

Les deux maisons

Extrait

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Pourquoi cette histoire ?

es choses te tombent sur le paletot, des fois, tu te demandes pourquoi. À force de me baguenauder dans les enfances, celle de mon fils, celles des gamins dans les classes, la mienne, qui me servait à explorer, mesurer, essayer de comprendre et finalement à tout compliquer, à force de tournicoter en large et en travers, comme une souris dans son labyrinthe expérimental, j’ai fait une découverte colossale : avant moi, le monde existait ! Ma propre enfance n’était pas la source, comme je croyais. Tout juste une résurgence, un ruisselet qui découlait d’une discrète rivière, cachée par un écran de majesté. Avant ma vie, en effet, d’autres vies, d’autres enfances prioritaires, d’autres amours, d’autres angoisses, d’autres espérances, en deux êtres essentiels : mes parents. Parents que j’avais toujours regardés sans les voir, parents éternels, figés comme deux monolithes. Je les voyais soudain animés, vivants. De chair, de cœur, de jeunesse, de rires et de larmes. De frêle fibre humaine comme je l’étais. Mon travail sur l’enfance me ramenait à la leur qui ne m’avait jamais soucié. Devenu curieux de leur passé, mais sur le tard, enfin désireux de chercher dans leurs vies des réponses à la mienne, pour comparer, apprécier, il ne m’était plus possible de les questionner, car ils n’étaient plus là.


Personne, soudain, à qui me référer, maintenant que l’envie m’en prenait. L’immobilité autour de moi. Un silence de cave, ou l’air, désespéré de ne plus être respiré, s’est plongé dans le noir, comme jadis, Œdipe, lorsque la vérité s’est abattue sur lui. Une image possible du néant. En moins violent ce que doivent ressentir les enfants sans passé, dont l’origine a été administrativement effacée, ou enterrée par les fuites et les lâchetés de leurs géniteurs. Ce jour-là, mes parents sont morts pour la seconde fois.


Alors, j’ai décidé de les chercher, en menant mon enquête, pour faire murmurer le silence, trébucher leur solitude, avec l’espoir de les reconstruire, par bribes, comme on recolle des morceaux, pour me faire pardonner mes années d’indifférence et de désinvolture.

Je suis donc parti interroger mes oncles et mes tantes, encore de ce monde, mes témoins.


Mon roman, Les deux maisons, était la trace de cette recherche. J’y racontais la vie d’un gosse, en 1925, qui partait pendant huit mois, gagner sa croûte, chez un patron. Du premier plateau jurassien, le pays des buis, il s’exilait sur le deuxième, dans une terre à sapins. Je réunissais ainsi les deux villages de mon père et de ma mère.


Le boulot du gamin ? Berger. Précision : on devrait dire vacher, puisqu’il gardait les vaches. Mais dans le Jura, on dit berger. Comme on dit aussi écurie, au lieu d’étable. Des mots qui sentent la traite bi-quotidienne et la fourche à fumier, la brouette qui grince, les seaux que l’on transporte pour faire boire les bêtes. Des mots de labeur, d’une propreté douteuse, et parfumés, tout ce qu’il y a de naturel ! Pas ceux de l’Académie. Et l’écurie, quand on veut préciser, on dit l’écurie des vaches ou  l’écurie du cheval. Enfin du cheval, de la jument plutôt, vu que les paysans jurassiens savaient que les étalons, à part cavaler, c’étaient des bons à rien. Alors que pour le boulot, pardon, leurs femelles n’étaient pas du genre à s’emmêler les pâturons.


Grand prix du livre pour la

jeunesse, ministère de la

Jeunesse et des Sports