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Maj le 13/10/2022
Merci, monsieur Truc, de m’avoir envoyé votre note de lecture. C’est délicat, et bien peu de rédacteurs pensent à le faire.
Merci également de la tonalité générale de votre papier, où vous relevez notamment (j’apprécie) la modestie du prix de vente de mon livre. Je travaille, avec mes propres moyens et ceux de mon éditeur, à la démocratisation du livre et de la lecture.
Il y a néanmoins un point avec lequel je suis en désaccord avec vous. C’est, dans votre premier paragraphe, les intentions que vous me prêtez de reconstruire l’icône mathématique romantique, que Caroline Ehrhardt à laquelle vous renvoyez, avait brillamment fait voler en éclats.
Non, je ne suis pas tombé dans ce piège-
Je crois que cette allusion au romantisme est surtout un moyen commode de désigner un état d’esprit marqué par une certaine manière turbulente de vivre et de contester de la part de la jeunesse. Dès qu’il y a outrance échevelée, on recourt au mot romantique. Ceci renforcé par le fait qu’on était alors à la naissance de ce mouvement littéraire (la bataille d’Hernani tombe en 1830, dans la fermentation des idées qui allaient conduire aux Glorieuses).
Voici d’ailleurs ce que j’écrivais à madame Ehrhardt en juin dernier :
« Ce serait trop peu dire que votre livre m’a aidé. Il a radicalement modifié mon regard, m’obligeant à rompre avec le romantisme qui a longtemps façonné l’image d’Évariste et il m’a permis, non sans mal évidemment, d’écrire le roman qui m’avait jusque-
Cela dit, sous prétexte de retirer Évariste du martyrologe de la science, nous n’oublions pas qu’il a trempé dans une poisse noire et qu’il a été victime des suffisants, des pontifes attachés à leurs privilèges, à leurs fauteuils, à leur esprit de coterie. Vous connaissez comme moi, ce mot d’Olry Terquem à propos du concours de l’X 1829 : « Un candidat d’une intelligence supérieure est perdu chez un examinateur d’une intelligence inférieure. » J’ai largement développé cet aspect et vous l’avez signalé. Ce que je n’ai pas craint de développer non plus, c’est de montrer qu’Évariste avait été aussi, et largement, victime de lui-
Pour clore le chapitre du romantisme, je vois Évariste comme un gamin malheureux, qui avait perdu son adulte de référence dans des circonstances dramatiques et politiques terribles, et qu’il s’est trouvé comme un électron libre, traversant certains épisodes de sa vie d’une façon totalement déjantée. Ce n’est pas rien de perdre son père à 18 ans, dans les conditions que vous connaissez. Non, il n’a pas eu à ses côtés cet homme « qui était tout » pour lui, qui soit en mesure de le secouer en le mettant vertement en garde sur le mode : « Arrête tes conneries, tu es en train de te foutre en l’air ! »
J’ai vu peu de mathématiciens, auteurs de livres sur Galois, développer l’importance de ce malheur. Est-
C’est en tout cas la tâche des romanciers. Le roman réinvente la vie, ce que vous dites vous-
Merci beaucoup pour ces mots.
C’est en pensant à ce père absent que j’ai inventé une scène où je fais jouer ce rôle à monsieur Richard, entre le concours de l’X et le concours d’entrée à l’école préparatoire (p. 82.83 de mon livre, version poche).
Voilà, monsieur Truc, ce que votre lecture m’inspire et que je tenais à vous dire.
Cordialement,
Jacques Cassabois
5 février 2022
(…)
Deux mots sur la différence entre roman biographique et texte didactique (mémoire, thèse, compte-
Le chercheur professionnel utilise sa documentation pour démontrer une thèse. Il tente, par sa pertinence, de convaincre un public de professionnels avertis.
Le romancier, utilise sa documentation pour reconstituer la vie en toute vraisemblance et s’adresse au plus grand nombre de lecteurs possible, non par des développements théoriques, ex cathedra, mais par des épisodes sensibles, portés par du récit, des réflexions, des scènes de vie décrites et dialoguées. Dans un roman, l’auteur suggère plus qu’il ne dit, induit des réflexions, provoque l’intuition davantage qu’il impose une vérité, aiguille le lecteur vers une voie qu’il l’invite à suivre par ses propres moyens, c’est-
Un roman forme un tout impressionniste coagulé par une infinité de fragments. Chacun de ces fragments apporte une couleur, une lumière, une résonnance qui contribue à l’édification de l’ensemble. Modifier un fragment, changer sa sonorité, le déplacer, le supprimer déclenche une vibration plus ou moins forte qui se transmet à l’ensemble et peut aller du simple changement de tonalité presque imperceptible, au séisme d’une incohérence ou d’un changement de choix qui oblige à reconstruire une partie plus ou moins lourde du tout.
Un roman est l’image de la complexité du monde. La vie s’y infiltre de toute part et chaque mot travaille à cette imprégnation.
On est loin de l’édification argument après argument, brique à brique, d’une thèse qui se développe inexorablement.
Un roman est un navire sur l’océan, dont la voile vibre à la moindre brise.
Un roman ne dit pas la vérité. La vérité est singulière tant elle est plurielle. On n’en saisit jamais que des éclats.
Je ne connais pas d’autres romans sur la vie d’Évariste en dehors de ceux que vous citez (mais je ne sais pas tout). Et encore, connaître c’est beaucoup dire, car je n’ai lu ni Désérable ni Infeld. Quand je travaille sur un sujet dans la perspective d’une production romanesque, je ne vais jamais lire les romans de mes prédécesseurs sur le même sujet. Je me protège. Je veux être libre de ma réflexion. Je me borne aux ouvrages des spécialistes de mon sujet et de tout ce qui peut documenter mon travail sur l’époque, sur la manière de vivre des gens, sur les personnages, etc.
Par exemple, quand je récris les mythes d’Héraclès et de Prométhée, je lis les grands hellénistes qui les ont analysés ; quand je récris l’épopée de Gilgamesh, je fréquente les maîtres de l’assyriologie et les médiévistes spécialistes du roman courtois, quand je travaille Tristan et Iseut, ou ceux du règne de Charles VII quand je réinvente la vie de Jeanne d’Arc. »
Jacques Cassabois
27 avril 2022
Je n’ai pas l’habitude de répondre aux critiques de mes livres, mais après lecture de la note de Jean-
Rien de plus lassant que de trouver sous la plume d’un rédacteur qui chronique un de vos romans dit historique, et qui, après quelques indulgences fagotées à la diable, vous assène la restriction vacharde suivante : « Oui, mais c’est un roman ! » À l’abri derrière son écran, il vous pulvérise en six syllabes tout votre long travail de recherche.
Je m’empresse d’ajouter que Gilles Cohen et Jean-
Voici à titre d’illustration, l’extrait d’un échange avec Martine Brilleaud, Directrice de la rédaction de la revue Tangente, avec qui je me suis souvent entretenu en vue de la préparation du numéro Hors-