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Maj le 03/12/2023
Juste avant l’aube
a mère ouvrit les yeux, en avance sur le réveil qui n'avait pas sonné. Elle écouta la nuit, encore plate, où la respiration de mon père traçait des collines régulières. Elle referma les yeux, puis les rouvrit, puis les referma. Et plusieurs fois encore, comme pour sucer du regard cette ampleur tranquille de la chambre, se laver de paix l'intérieur de la tête.
Elle connaissait ce pincement des reins, ce croc lourd sur son dos, ce battement de pas ferré qui marche en prenant son temps. Elle pensa :
"C'est lui ! "
Puis, pour les jours de fausse alerte où elle avait cru l'entendre:
" Ce coup-
Et pensant, elle vit ses deux aînés qu'elle avait expédiés chez sa mère, la semaine précédente, en prévision. Elle vit cette journée de vendredi, vêtue comme un vendredi ordinaire, ses heures de ménage à la boucherie, les sols à récurer, les pâtés en croûte à cuire, les oeufs en gelée... toutes ces facilités pour les clients du dimanche. Elle vit les choses en ordre, bien posées à plat devant elle, dans une seule image claire.
Elle se tourna sur le côté, ouvrit les couvertures et respira. S'assit au bord du lit, respira et se leva.
Mon père la sentit debout.
" Où vas-
Petit. C'était un mot ancien qui remontait aux premières années de leur amour. Un mot qu'il taisait dorénavant et qui lui revenait dans ces instants de tendresse embarrassée, lorsqu'il se sentait impuissant à l'aider.
" Je vais que... Y'a pas loin qu'on soit un de plus, tiens... Voilà où je vais!
-
Il dit et se dressa, la bouche ouverte en tunnel sur le mot qui continuait de passer en silence.
" Oh ! "
Et sa surprise emplissait la chambre comme un courant d'eau tiède, se réchauffait à mesure que la pleine lumière du réveil lui éblouissait la tête.
" Veux-
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Prix du livre Comtois
Les riches heures d'un petit garçon presque comme tout le monde.
Ce livre est magnifique. Je le dis comme je le pense: un bouquin doux à lire -
Ce livre raconte l'histoire d'un petit garçon, dans un petit village au fond d'une petite province -
"La guerre semblait avoir offert sa chance de bravoure à chacun. Même aux ouvriers de la dernière heure. Insignes d'aluminium, médailles, plaques de marbre, noms de rues, souvenirs, légendes... A nous qui arrivions après la distribution, il ne restait que les minutes de silence."
Avec de vieux gilets que l'on détricotait pour retrouver la laine, et de vagues "colos" qui arrivaient l'été, comme des tantes lointaines, pour retarder l'ennui -
"Nos parents, eux, disaient "dans le temps". D'une façon pesante qui les vieillissaient d'un siècle. Ils entraient dans le temps, là où les choses naissent sans avoir de commencement. Devenaient immortels"... C'est ça: ce livre raconte des choses immortelles. Et mon plaisir c'est qu'il est superbement écrit. Une écriture "classique" certes, mais poussée par tellement de vie, d'humour tendre, de pointes d'espièglerie! Jamais l'ombre d'un cliché, mais des phrases chargées de musique, pleines d'images vraies, fraîches, subtiles, à toutes les pages... Et les dialogues qu'il faut, dans la langue juste des gens, sans ostentation inutile, taillée menu avec tous les termes indispensables, ceux des parents, des voisins, de la vérité en somme. Un plaisir de lecture!...
Seulement... Le problème c'est qu'il s'agit d'une recréation forte, sur un mode que l'on dirait "poétique", donc vital. Ce n'est pas de la sociologie asséchée, dans laquelle on doit ajouter l'eau de sa sueur et laisser infuser un bon moment avant de goûter -
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Ah!... Cela change tout. Comment peut-
D'autant que, pour un citadin de souche qui jouit d'une certaine aisance, ce texte peut paraître plus ou moins codé -
Or, bien des gens n'ont jamais su ce que cela voulait dire: "l'usine après le Certificat" -
Mais pardi, nous sommes des milliers à avoir embarqué sur ces chemins-
Une partie de l'émotion que j'éprouve dans cette Lumière du jardin vient de ce sens précis de la connivence. En réalité, il y a derrière ce récit, en accompagnement de fond, une sonate de violons si discrète, si mélodieuse qu'elle se mêle aux sonorités de la phrase. Si ténue aussi que seuls peuvent l'entendre des fils d'ouvriers ou de paysans qui ont acquis le savoir du lire. Je le crois vraiment, cette musique sort des voix éteintes de nos passés imparfaits.
Tabarnak! je sens des larmes monter en écoutant ces violons lointains. Dans la lumière du jardin pourrait être lu avec la même jubilation par deux ou trois cent mille personnes en France -
Sûrement pas par les voix officielles: le Comité Central de la Dictature des Lettres, qui tient dans sa puissante main les circuits d'information, demeure plus qu'insensible aux émotions de Pont-
Alors?... Eh bien, c'est peut-
Claude Duneton
(1) Alexandre Vialatte, bien sûr
omplaisance l’autobiographie ? Narcissisme ? Allons donc ! Une manière irremplaçable de retrouver sa légitimité d’être humain. J’essaie de cerner cette évidence, dans cette allocution de remerciement, prononcée au Conseil Régional de Franche-
Les retours vers l'enfance sont souvent regardés comme des occasions de nostalgie et de regrets passifs. La réflexion sur soi, toujours suspectée de complaisance et de narcissisme. Tous deux, régulièrement accusés d'alimenter le repli sur soi et de consolider la forteresse des égoïsmes tracent la silhouette d'un individu, sans cesse dénoncé comme l'entremetteur de l'individualisme.
Lorsque j'écrivais les textes qui allaient peu à peu devenir Dans la lumière du jardin, ces opinions me hantaient. Je ne méconnaissais pas, pour les avoir éprouvés, les dangers qu'elles dénonçaient, mais elles me paraissaient catégoriques. Trop tranchées pour être justes. Exagérées, comme on exagère parfois, pour mieux dissuader...
Malgré elles, mon enfance m'attirait. Et si au commencement, je me suis tourné de son côté comme on se tourne vers un refuge, je me suis vite rendu compte que la surface de cette eau n'était paisible qu'en apparence et que des courants continuaient de l'animer, comme si une source n'avait jamais cessé de sourdre des sédiments où elle reposait. Une source aux eaux changeantes: parfois claires, parfois brassées, rafraîchissantes ou saumâtres, horriblement. Ces eaux, je les reconnaissais toutes les yeux fermés, et je pouvais les nommer, les associer à des instants vécus, à des circonstances. Et mon plus grand étonnement était de voir que ces eaux d'enfance, jamais taries, n'étaient que les premières manifestations de flux qui n'allaient plus jamais cesser de me porter.
Mon enfance pourtant, n'était qu'une enfance ordinaire. Elle était faite de quotidien et de banalité, d'interrogations qui ne savaient se formuler, d'espoirs à peine murmurés, d'attentes, de frustrations, de petits chagrins bouleversants. Des événements, en somme, totalement insignifiants. Mais lorsque je les sollicitais et que je les écoutais parler en moi, l'écho de leur voix, à travers les années, leur conférait une patine étrange : celle de la légitimité. Une légitimité qui murmurait sans relâche: "Aie confiance! Tu puises ici dans les eaux mères. Ce que tu dis, ce que tu fais, ondoyé par l'eau de ta source, ce sont paroles et gestes de vie ; ce sont paroles et gestes d'amour... "
Et par le miracle de cette voix, j'entrevoyais que l'individu ne s'opposait pas forcément au collectif, que le singulier n'était pas toujours dévoré par le pluriel, mais que chaque être pouvait devenir une contribution, un acteur du monde et non une victime désabusée de l'évolution, un lieu de résistance, un ferment, une force d'incitation, à la condition expresse qu'il se présentât devant la vie avec ce qu'il possédait de plus personnel, de plus particulier.
Cette légitimité-
Ainsi, mon enfance me donnait accès à une ribambelle d'enfances, ma vie à un fourmillement infini.
Je voyais à l'œuvre en moi, l'enfant relié à l'adulte, former avec lui un axe vertical, et à travers moi, tant d'autres axes juxtaposés, tout semblables d'incandescence... Un gisement de forces! Et ma toute petite histoire, sur la ligne du temps, voisinant avec tant d'autres fragments légitimes, agglomérés pour former l'histoire secrète des cœurs, histoire toujours éludée mais histoire essentielle, parce qu'elle sous-
L'individu pouvait ne plus être seul. Il était relié d'emblée et sécrétait ses propres liens! Maillon d'une chaîne. Qu'il l'accepte ou non, la solidarité était inscrite en lui. Son enfance pouvait lui en fournir toutes les preuves, s'il prenait le temps de l'écouter. L'enfant que j'avais été m'avait attiré, par les battements de son cœur, au bord de cette évidence...
Ancienne évidence ! Fondée sur un respect de l'homme, une espérance... La démocratie nous montre son énergie, par le vote des citoyens. La foi aussi, par l'efficacité de la prière. Deux lieux d'expression où les impuissances individuelles composent l'énergie des multitudes. Ces multitudes peuvent orienter la vie vers le meilleur ou vers le pire. Parce que les fleuves ne sont que la somme de leurs affluents, parce que chaque affluent, lui-
Les décisions, les mesures, les lois élaborées par les représentants de la société sont des forces centrifuges nécessaires à l'organisation du collectif. Mais elles sont insuffisantes. Elles n'atteindront jamais leur pleine efficacité si l'homme n'y participe. L'homme!... Cette respiration intérieure que l'enfance nous inculque, ce souffle créateur, cette conscience d'appartenir à une totalité qui nous révèle rameau d'une souche universelle et qui nous porte vers ce roulement où toutes les voix se forment...
Puissions-
L'aptitude à vibrer sous cet invisible, à l'entendre vagir en nous, peut-
Jacques CASSABOIS
Besançon, le 23 juin 1995