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Maj le 28/08/2023
La fameuse dernière lettre de M. Galois à son fils que je vous présentais avec enthousiasme, en juin dernier, n’est pas authentique, mais fictive. Nous la devons à Léopold Infeld, physicien polonais et auteur d’un roman intitulé dans sa version anglaise (1948) :
WHOM THE GODS LOVE, the story of Evariste Galois
(Celui que les dieux aiment, l’histoire d’Évariste Galois).
À propos de cette lettre, Infeld précise dans sa postface (absente de la version française (1)) : « The letter of Galois’father reveals his true reason for suicide, but the letter itself is fictitious » (La lettre du père de Galois révèle les véritables raisons de son suicide, mais la lettre elle-
Pourquoi cette lettre due à l’imagination d’un auteur a-
L’honnêteté me commandant de m’asseoir le premier sur la sellette, je commencerai par une bourde qui m’a mis la honte au front.
(1) Edité par les éditions La Farandole en 1978, dans la collection pour ados Prélude, cette version s’intitulait plus simplement : Le roman d’Évariste Galois. Exit donc le bien-
« L’erreur, craindre l’erreur, c’est le pain quotidien du mathématicien. »
Alain Connes, mathématicien, médaille Fields 1982
In : Entrevue avec Alain Connes sur son livre Le spectre d’Atacama (autour de 27’15”)
À quoi je ferai écho en ajoutant : « Pas uniquement du mathématicien, M. Connes ; de l’ignorant aussi (et j’en connais au moins un), lorsqu’il s’aventure dans le jardin des savants. »
Chacun étant à la merci d’une erreur, je ne divulguerai ni les noms, ni les ouvrages, ni aucun détail qui permettent d’identifier les auteurs des livres où j’ai puisé les exemples qui suivent. Tous sont des mathématiciens éminents et reconnus. Je n’ai pour eux que respect. Sans leurs éclairages sur Évariste, je n’aurais jamais pu venir à bout de mon roman.
Elle se trouve dans une biographie d’Évariste, établie en 2011 par un connaisseur (le mot est faible) de son œuvre, à l’occasion de la célébration du bicentenaire de la naissance de notre petit savant, comme l’appelaient certains de ses codétenus à Sainte-
Ce biographe qui devait certes connaître la traduction française du roman d’Infeld où se trouve cette fameuse lettre (il a repris deux des derniers paragraphes des cinq pages qu’elle occupe), ne devait en revanche pas connaître la version originale anglaise, munie de sa postface.
Le bicentenaire de la naissance d’Évariste, organisé sous l’égide de l’Institut Henri Poincaré (IHP) et de la Société Mathématique de France (SMF), se déroula dans la semaine du 24 novembre 2011. Les documents et communications produits par les différents intervenants de ces journées ont ensuite été rassemblés et mis en ligne sur le site de l’IHP, à la disposition de toute personne désireuse de se documenter sur la vie et l’œuvre de l’époustouflant Évariste.
C’est ainsi que l’inexactitude sur l’origine de la lettre de M. Galois, passée inaperçue, s’est endormie, heureuse comme un rat dans un fromage, se transmettant notamment au rédacteur de la revue Tangente qui, en toute confiance, l’utilisa, franc jeu et bon argent, comme disait Raspail, pour rédiger son article du hors-
Pas si facile d’être candide, surtout quand on est observé par quelques experts !...
En effet, deux heures tout juste après avoir envoyé mon courrier exalté, je reçois une alerte d’un de ces experts et honorables correspondants, mathématicien et fin connaisseur d’Évariste, Olivier Courcelle pour ne pas le nommer, rédigée en ces termes :
« Bonjour, et content d'avoir de vos nouvelles.
Cela dit, pour votre information, la dernière lettre du père de Galois est fictive : elle est tirée d'une biographie romancée d'Évariste, en l'occurrence celle d'Infeld. »
Je lui réponds aussitôt, en commençant par l’essentiel :
« Ah ! sacré nom de dieu. Merci de me prévenir. »
Pour dire le vrai, je suis drôlement embarrassé. Que faire ? D’abord prévenir Martine Brilleaud à Tangente, évidemment, afin qu’elle alerte son rédacteur, puis demander d’autres détails à Olivier Courcelle.
D’échange en échange, nous progressons Martine Brilleaud et moi. Elle possède un exemplaire de l’édition française de l’Évariste d’Infeld dénichée dans un vide-
Martine Brilleaud de son côté et moi du mien avons maintenant les éléments pour rédiger nos correctifs pour nos lecteurs respectifs. Sauf que, pour moi, l’histoire ne s’arrête pas là ! En effet, j’ai encore à m’expliquer sur les propos que j’ai tenus, porté par l’enthousiasme d’avoir écrit une scène de même tonalité que cette fameuse lettre… que je croyais authentique.
Je recopie ci-
« … tout être humain engagé dans une création intense accomplit une activité proprement médiumnique. Il devient une conscience capable de canaliser des fragments de la mémoire du monde. Il est semblable à un pêcheur qui jette son filet dans les eaux profondes de l’océan universel et qui ramène à lui des poissons aux écailles de lumière. »
En dépit de l’inauthenticité de la lettre, je maintiens ce paragraphe mordicus et en intégralité.
Ma conviction est toute empirique, imposée par une évidence que je retrouve chaque fois que j’écris des pages dont je ne peux relier le contenu à la moindre connaissance acquise.
C’est à un bagage intérieur, intuitif, que je puise, constitué par une infinité d’éléments dont j’ignore l’origine, de remarques fugaces nées de mes rêveries, de projets aussi vite oubliés qu’effleurés, d’événements éphémères, qui tirent de moi surprises, émerveillements, interrogations jamais élucidées et tout un fatras de particules venues d’un ailleurs absolument impossible à localiser parce qu’il nous entoure comme l’air que l’on respire, qui s’agglomèrent clandestinement, formant un substrat qui tapisse mes zones obscures et chaotiques, abandonné au silence, mûrissant depuis des temps infinis en attendant son heure, jusqu’à ce qu’un jour l’alchimie de la création réveille un seul de ces fragments et le mette en lumière sous l’effet d’un de ces états de conscience modifiée communément appelé l’inspiration.
L’inspiration, comme son nom l’indique, est une question de souffle, anima en latin, qui signifie aussi l’âme, laquelle nous conduit dans les parages de l’Esprit, n’ayons pas peur des mots, et allons même un peu plus loin, puisque, disent certains vieux textes : « Au commencement, les ténèbres couvraient l’abîme et le souffle de Dieu planait sur les eaux. »
L’inspiration donc, est un état puissant et subtil qui nous relie à plus haut, à plus vaste, à plus multiple que nous et dont nous portons, caché, l’écho, depuis des temps immémoriaux.
L’être inspiré communique ainsi, le temps d’une fulguration, avec l’immensité cosmique de la création. Il en rapporte une gerbe dont il ne sauve qu’une insignifiante poignée d’étincelles qu’il s’empresse de décrypter avec fébrilité, avant que tout se brouille et que le feu retourne à la cendre.
Inspiration, expiration.
Métaphore de la vie.
Deux élans.
L’un nous pousse vers le large,
l’autre nous ramène au port.
Inspir, expir.
À chaque respiration,
le maître du souffle nous remémore notre naissance,
nous fait revivre le commencement et la fin.
Inspir, expir.
L’inspiration, elle, nous transporte
du paradis de l’esprit
à l’enfer de la matière.
J’achèverai la première partie de cette mise au point sur ces paroles d’Alain Connes, encore une fois, extraites de l’entretien que je mettais en exergue de mon propos, vers 43’27.
(Prenez le temps de l’écouter. Prenez ce temps pour vous. C’est une heure d’intelligence paisible et pétillante, portée par une voix douce, enveloppée d’un léger voile, qui cherche parfois ses mots pour atteindre à plus de précision. Ses propos vous instruiront, mieux, vous reposeront de l’incessant baragouin de la tribu des « peaux-
« En quel sens sommes-
Cherchant à évaluer le coût de l’équipement d’un garde national afin de me faire une idée de l’effort financier qu’Évariste avait dû consentir pour s’enrôler dans cette milice citoyenne, j’avais découvert que l’uniforme à lui seul coûtait environ 150 francs, soit trois fois le salaire mensuel d’un ouvrier (chiffre cité par la Société des amis du peuple).
La Gazette des écoles, de son côté, m’avait renseigné sur les rémunérations de quelques universitaires comme Joseph-
Époustouflé par un tel écart de salaire entre le haut et le bas de l’échelle sociale, me voilà parti à calculer le rapport de l’un à l’autre avec ma chaîne d’arpenteur de géomètre tête en l’air, pour découvrir que l’honorable anatomiste franc-
— Caramba ! m’écriai-
Et hardi petit, je rédige aussitôt une note de bas de page pour propager la nouvelle.
Et mon roman parait ainsi, pourvu de sa note dévastatrice jusqu’à ce que, quelques semaines après, pour une raison que j’ai oubliée, je reprenne le livre de Norbert Verdier 2 et tombe sur l’information qu’il connaissait comme moi, mais ayant eu la prudence, en auteur averti, de préciser que les 48000 francs de Cuvier étaient… annuels ! Compris gros bêta ?
Par chance, la première édition de mon roman (juin 2019) avait bénéficié d’un tirage modeste qui fut vite épuisé. Un nouveau tirage parut en octobre, pourvu d’une nouvelle note de bas de page qui effaçait mon erreur et où Cuvier ne gagnait mensuellement plus que, excusez la restriction, 80 fois le salaire d’un ouvrier.
Autrement dit, aujourd’hui (j’écris ces mots en juillet 2022), le smic mensuel net (parlons net, c’est plus facile à comprendre) est à 1302.64 €. Multipliez par 80 et considérez la manière dont les choses ont évolué depuis 1830, après une monarchie, un empire et 5 républiques.
Aux Archives nationales, les compositions des épreuves de mathématiques et de physique des candidats au concours d’entrée à l’École préparatoire sont réunies dans une liasse où elles sont classées par année (du moins était-
J’étais totalement novice dans ce milieu (et toujours un peu aujourd’hui), donc facilement impressionnable et, lorsque l’archiviste déposa sur ma table les documents que j’avais demandés et que, feuilletant avec précautions, je tombai face à face avec les copies que j’espérais trouver, je fus saisi d’une émotion considérable. Je n’en revenais pas ! Évariste était là, en personne, et je restai un long moment immobile, les yeux humides devant de tels vestiges, contemplant ces feuillets, hypnotisé par l’écriture du candidat particulier dont je m’étais mis à suivre la trace et qui semblait me dire : « Alors comme ça tu m’as trouvé, mon p’tit pote ! »
Après le sujet de l’épreuve qui occupait la première page, se trouvait la réponse d’Évariste.
Un détail me fit sourire. L’en-
Je compris donc sans difficulté que l’administration, attentive à ses deniers, avait repris pour ce concours d’entrée à l’École préparatoire de 1829, des feuillets inutilisés du Concours général de 1828, la composition de physique puisant, elle, au reliquat encore tout chaud du Concours général de 1829.
Dix-
« Tiens, il s’est fait avoir ! » pensai-
Et, chaque fois que je note l’erreur d’un auteur tellement plus diplômé et savant que moi, je me demande toujours comment il a pu se laisser leurrer si facilement.
« Peut-
Je n’ai pas la réponse, mais qu’importe. Il ne s’agissait peut-
Avant de passer à l’exemple suivant, voici d’abord les compositions de maths et de physique d’Évariste à ce fameux concours d’entrée à l’École préparatoire de 1829, pour que chacun puisse répondre aux questions posées.
Source Archives nationales F17 4176
Citation
« Le choix de cette orientation (à l’École préparatoire) est souvent présenté comme un pis-
Voilà ce qu’écrit l’un des auteurs qui a le mieux rénové l’image d’Évariste en l’inscrivant dans la réalité du cursus scolaire de son époque et en le débarrassant du folklore romantique qui l’entourait. En lisant ces lignes, je suis tombé de ma chaise, littéralement !
Ce paragraphe m’a troublé, au point que ma vue se brouillait à mesure que je le lisais et relisais, sous l’effet d’un doute épouvantable.
— La date ! Mais quelle date ? me suis-
Pour ne pas répéter ce que j’ai déjà écrit vous trouverez ici la lettre de candidature d’Évariste, précédée de celle du recteur Rousselle qui la transmet et qui, elle seule, est datée du… 12 août 1829 ! Date tardive, car « le concours va s’ouvrir le 20 de ce mois », écrit lui-
Que je sache, le seul moyen d’officialiser une candidature c’est bien de demander son inscription aux épreuves, n’est-
Et c’est là que je me heurte à l’obstacle qui me désarçonne toujours ! Je n’arrive pas à accepter que cet auteur-
Depuis 2017, lorsque j’ai lu ce paragraphe pour la première fois, je n’ai jamais pu me libérer de cette défiance de moi et c’est cinq ans après, en écrivant ces pages, que la vérité s’est imposée à moi.
Elle est infiniment plus simple, carrément bête comme chou ! La voici : le livre dont je commente l’extrait a été publié en 2011, donc écrit en 2010-
Or, le document sur lequel j’appuie ma réflexion n’est devenu public qu’en 2016 !
Je le sais, car c’est moi qui l’ai découvert, moi, dont la main innocente a tiré un numéro dans le chapeau du hasard ! Et si je me réfère à la surprise que j’ai provoquée le 19 octobre 2017, dans la salle de lecture des archives de Polytechnique, je crois pouvoir affirmer modestement que je suis peut-
Les conditions de cette découverte sont lisibles ici, sous le titre Découverte d’un trésor. Je n’y reviens donc pas et saute directement aux conclusions en reposant cette question :
— Pourquoi la candidature d’Évariste à l’Ecole préparatoire n’est-
— Tout simplement parce qu’il n’a connu son échec à l’X, au mieux, que le 14 octobre 1829, le jury d’admission s’étant réuni ce jour-
Dates et noms, la preuve est ici et ici, sur le document situé au bas de la page d’accueil, où l’on peut lire :
Nombre d’élèves admis (Décision du Jury du 14.8 bre approuvé le 20 et 31 Oct.) 105
Donc, entre le 14 août, fin des épreuves du concours d’entrée à Polytechnique et le 20, début du concours de l’École préparatoire, Évariste n’a pas pu se dire :
— Et merde ! Je me suis pris une taule à l’X à cause de cette grosse enflure de Dinet, je vais me rabattre sur Prépa !
Non, impossible !
Maintenant, à quel moment, dans les projets d’orientation d’Évariste, l’École préparatoire est-
Néanmoins, il a tardé à envoyer sa candidature. Pour quelle raison ? Je n’en sais rien non plus, mais dans cette période dramatique, on peut trouver pléthore de causes justifiant (excusant ?) ce retard (découragement, fureur, chagrin…).
Quand il se reprend, soit parce qu’il prend conscience de sa négligence, soit parce qu’il se fait sonner les cloches par un tiers (dans mon roman j’ai attribué ce rôle à son prof de maths, monsieur Richard, ce qui est pure invention de ma part), il arrive hélas hors délai.
Fort de ces suppositions, c’est ainsi que j’ai romancé ces instants.
Et j’interromprai ici cette incursion pédagogique dans les coulisses de mon travail.
Pédagogique, quel mot étrange dans notre époque de science infuse et de commérages, ne trouvez-
Je ne déteste rien plus que les gesticulations des bateleurs complaisants qui nous font croire que tout est facile et l’infernale surenchère d’effets spéciaux où se bousculent les hypnotiseurs du théâtre politico-
Merci à ceux qui m’ont suivi.
Jacques Cassabois
Juillet -
Le bateau ivre, Arthur Rimbaud
Galois, le mathématicien maudit, Belin, 2011.
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