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Maj le 13/10/2022
Ce texte, écrit à la fin du mois de décembre 1831, clôt donc cette année sur le même ton de révolte froide et déterminée que la lettre Sur l'enseignement des sciences l'avait ouverte. Entre ces deux textes le séisme de l'engagement politique a commis ses ravages.
Une crépitation d'événements : manifestations, emprisonnements, jugements, vie carcérale, recherches nouvelles malgré les désillusions amères et les périodes de violent découragement…
Cette Préface devait introduire une recherche intitulée : Deux mémoires d'analyse pure, qu'Évariste voulait éditer par ses propres moyens. Seconde tentative d'édition qui n'eut pas plus de suite que la première quand, au cours de l'été 1830, ulcéré de déception par la perte de sa contribution au Grand prix de l'Académie des sciences, il avait commencé à la retravailler. C'est ce texte-
La Préface a été écrite au cours de la deuxième quinzaine de décembre 1831, sans autre précision chronologique. Au tout début de ce mois, le 3, Évariste comparaissait devant la justice afin d'y être jugé en appel de la peine infligée en première instance, pour délit de port d'armes et d'uniforme prohibés (épisode du 14 juillet et de sa pitrerie provocatrice qui, au final lui aura coûté bonbon !)
Condamné à six mois de prison en novembre, l'appel de décembre confirma ce jugement.
Évariste se retrouvait donc bouclé jusqu'au 29 avril 1832 (il ne lui restera alors plus qu'un mois à vivre), ses trois mois et demi de préventive n'étant pas déduits de sa peine. Au total, il fut donc privé de liberté (Sainte-
Il ne réintégrera pourtant pas Sainte-
Par bonheur, si j'ose dire, il retrouva bien Sainte-
Quand ce texte fut connu, bien après la mort d'Évariste qui avait déjà gagné ses galons de génie stratosphérique des mathématiques, sa " violence " choqua, au point que Jules Tannery (1848-
René Taton (1915-
1984 trouve les mathématiciens encore frileux et faciles à effrayer, semble-
Cette Préface est un beau texte qui n'effraie plus -
" On jugera ! " comme l'écrivait Évariste en note marginale de son mémoire, dans la nuit terrible du 29 mai, un mois jour pour jour après avoir recouvré sa liberté.
Première page du manuscrit de la Préface -
Telle, cette page numérisée d'après des microfilms est parfaitement illisible. On ne peut s'y retrouver qu'avec le texte imprimé à ses côtés. Je la livre ici pour sa beauté et la vue d'ensemble de sa composition qui nous révèle le rythme de la réflexion d'Évariste à mesure qu'il écrivait et nous laisse deviner ses conditions de travail.
Lettre à Évariste Galois (1)
Mon cher Ami (1),
Le monde avance décidément d’un pas étrange et tu seras sans doute bien étonné d’apprendre que, deux siècles ne se sont pas encore écoulés après ta Préface, que les nouveaux maîtres de la France permettent non seulement que l’on n’emprisonne plus qu’à regret, mais s’autorisent à ouvrir tout grand les portes de leurs geôles à la pire lie de la société, qui s’adonne sans vergogne à ses malfaisances aussitôt sa liberté retrouvée, adressant un pied de nez aux lois et vidant le mot Justice dont elle n’a cure, de son sens le plus noble.
Bien sûr, tu m’objecteras qu’en 1832, au temps où le choléra fauchait les hommes comme sainfoins dans les prés, l’autorité avait pris la décision d’élargir de nombreux détenus par humanité, largesse dont, prétendent certains, tu as toi-
Aujourd’hui, l’autorité râcle le creuset de la prison pour ensemencer la société comme à plaisir des pires ferments de haine et de destruction qui soient, avec un empressement qui laisse à penser qu’elle voudrait s’excuser auprès des gredins de les avoir embastillés. C’est à n’y rien comprendre et nombre de citoyens ne savent plus à quels saints se vouer, lesquels, sur le marché de la morale et de l’exemplarité, se sont aussi beaucoup dévalués.
Assurément, tu ne reconnaîtrais pas dans notre République, cinquième du nom, au hideux visage de Méduse dont le simple regard tue, celle que tu appelais de tes vœux et qui faisait flamber tes rêves de patriote. Le mensonge, la duplicité, la corruption et l’entre-
Pardonne-
Je t’embrasse avec effusion (1),
J. Cassabois
Le 29 août 2020
(1) Formules utilisées par Évariste dans sa lettre testament du 29 mai 1832, à Auguste Chevalier.
Pages 2 et 3 de la Préface, où Évariste écrivait notamment :
[…] la rédaction en général sent la prison (…) séjour que l'on a tort de considérer comme un lieu de recueillement. […] Tout le monde sait comment et pourquoi l'on met en prison certaines personnes qui ont l'audace de ne pas être à genoux devant le pouvoir […]
Quelques notes pour faciliter la compréhension du texte d’Évariste
Zoïle : critique acerbe et jaloux, emprunté au nom d’un détracteur d’Homère.
Wronski : mathématicien et théosophe polonais (1776-
Quand Évariste évoque son « espérance que ses recherches pourront tomber entre les mains de personnes à qui une morgue stupide n’en interdira pas la lecture », il est étonnant de constater que c’est justement ce qui s’est produit. La personne en question s’appelle Joseph Liouville, mathématicien, académicien et éditeur qui publia, en 1846, dans son Journal de mathématiques pures et appliquées, une partie des travaux d’Évariste, dont le Mémoire sur les conditions de résolubilité des équations par radicaux.
La version lue est celle établie par messieurs Robert Bourgne et Jean-