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Maj le 13/10/2022

Mais qui était présent à la cérémonie ? Difficile de le savoir. Plagniol et Pinel, les orateurs, puisque désignés par La Tribune. Mais qui d'autre ?

Alfred ? Le petit frère malheureux qui a recueilli les dernières volontés du mourant : " Non, pas de prêtre, pas de prêtre ! " et qui mettra tout son cœur, toute son énergie à faire valoir, avec l'aide d'Auguste Chevalier, l'œuvre de son aîné tant admiré, œuvre qu'il s'évertua, une fois publiée en 1846, à faire connaître aux savants allemands Gauss et Jacobi, comme l'avait demandé Évariste dans sa lettre-testament à Auguste Chevalier ? Comment savoir si Alfred a assisté aux obsèques ? Sa mère, l'aura-t-elle autorisé à s'y rendre, après le rejet du fils prodigue par la famille ? Et, en cas de veto maternel, Alfred, qui n'avait manifestement pas le tempérament d'Évariste, était-il de taille à passer outre ?


Et la douce Nathalie, soucieuse de son Évariste, qui lui rendait visite à Sainte-Pélagie ? Nathalie Galois, épouse Chantelot, dont le mari était sous-chef à la Préfecture de la Seine ? Difficile de l'imaginer au milieu d'un rassemblement de séditieux, celle qui s'inquiétait pour son frère chéri, écrivait ses pensées dans son carnet quand elle rentrait de ses visites. A-t-elle laissé libre cours à son chagrin dans ces pages, dont nous ignorons ce qu'elles sont devenues ?


Et Auguste Chevalier, a-t-il été prévenu ? Comment, quand, par qui a-t-il appris la mort de son ami ? cloîtré qu'il était, depuis le 23 avril, transformé en frère cireur de chaussures de la petite colonie de reclus, dans son couvent saint-simonien de Ménilmontant qui n'allait pas tarder à fermer ses portes. La fabuleuse expérience d'utopie sociale saint-simonienne, en effet, était au bord du gouffre, sombrant sous les querelles des dirigeants de l'Église, le ridicule de ses rituels mystiques qui attiraient des foules rigolardes, les procès et les condamnations.


Et Raspail, qui avait prodigué à Évariste son intérêt affectueux, lorsqu'ils étaient codétenus ? Absent lui aussi ? Oui, pour cause d'incarcération. Le 23 février dernier, en effet, il avait dû rejoindre Pélago pour y purger sa peine de quinze mois, infligée pour ses propos insultants à la personne de Louis-Philippe, tenus lors du procès des Quinze :










Ces quatorze millions représentaient le montant de sa “liste civile” que Louis-Philippe plaçait à l'abri des soubresauts de son royaume dans les banques étrangères de pays amis ; l'équivalent aujourd'hui des paradis fiscaux.


Raspail ne mâchait pas ses mots. Il n'a cessé de dénoncer l'injustice sociale, poursuivant ses travaux que ses incarcérations n'interrompaient pas et soignant les indigents quand il était en liberté, comme le docteur Ulysse Trélat, tous deux surnommés les Médecins des pauvres. Emprisonné la moitié de sa vie, il écopa encore de deux ans de prison à l'âge de 77 ans ! Jamais il n'a renoncé. Jamais il ne s'est tu et ses paroles vibrent encore d'un écho qui nous stupéfie par son actualité à l'heure de l'Europe des escamoteurs et des technocrates :


« Peuple souverain, hâte-toi de nous dicter des lois ! Toi seul peut les faire justes et équitables. »


Delaunay, destinataire d'une des dernières lettres d'Évariste, n'était pas là non plus. À l'hôpital, il soignait le coup d'épée reçu au cours des bagarres du 1er juin, rue Saint-André des arts.


On aimerait qu'un ancien maître de Louis-le-Grand eût été présent. Monsieur Richard, par exemple, professeur de mathématiques spéciales, si fier de son ancien élève qu'il conserva précieusement  douze de ses copies toujours consultables aujourd'hui,  grâce  à lui. Mais a-t-il appris sa mort ? Et se serait-il rendu au cimetière ? Pas si sûr. Évariste, mué en provocateur invétéré, était devenu tellement mauvais genre.


Et Philippe Guillard ? Le rédacteur-fondateur de la Gazette des Écoles qui avait pris Évariste sous son aile au moment de son exclusion de l'École Normale, jouant avec lui un numéro de duettistes anti-doctrinaires, n'a même jamais évoqué son décès dans son journal. Rien, pas un mot. Leur alliance avait fait long feu. Lors du banquet des Vendanges de Bourgogne, il avait traité l'auteur du toast d'énergumène, sans savoir qu'il s'agissait d'Évariste. Terme qu'il a maintenu ensuite, au cours d'une querelle avec Duchâtelet : " Mais, puisque le mot est dit, nous le tenons pour vrai, et nous n'en démorderons pas. " (citation pourvue de sa coquille plaisante, conforme à sa publication dans La Gazette des écoles du jeudi 23 juin 1831, p. 3)

Non, il n'y avait aucune raison pour que Guillard se déplace aux obsèques, en plein nid de frelons républicains. Il n'évoqua pas davantage les recherches d'Évariste lorsqu'il créa, en 1836, une feuille éphémère, Le Géomètre, consacrée aux mathématiques.


On pourrait longtemps s'adonner à ce jeu de supputations pour imaginer qui était présent, qui était absent, se scandaliser de tel lâchage, dénoncer tel retournement de veste, sans aucune certitude. Ce qui est patent en revanche, c'est qu'aucun des camarades de combat politique d'Évariste ne s'est manifesté ouvertement plus tard pour dire : " Voici l'assassin ! C'est un des nôtres !" La plupart savait, inévitablement ; a toujours su. Le nom a dû circuler, se chuchotant de bouche à oreille, avec précaution, comme un secret de conspirateur qui est resté scellé grâce à un mauvais silence complice qu'on qualifiait alors d'honneur patriotique ! Un honneur qui justifie toutes les lâchetés, tous les mensonges, protège l'intérêt des coteries, les pouvoirs communautaires, les castes et les partis. Surtout ne rien dire. Cela nuirait à la cause, ferait le jeu de nos adversaires. Silence !

Tous ces champions de liberté et de moralité politique ont préféré claquer la porte au nez de la vérité ! Aux dernières nouvelles, ces habitudes de bassesse, de mystification idéologique et de calcul politique n'ont fait que croître et embellir, pour se changer en déni institutionnel et permanent de démocratie. En deux siècles, elles ont connu une croissance exponentielle.


Seul, Dumas a parlé, certes plus de 20 ans après les faits, parole de mousquetaire (tome 8 de ses Mémoires, p. 161), dans sa relation du banquet des Vendanges de Bourgogne :







Mais que vaut la parole de Dumas, grand diseur, grand faiseur, " Tartarin Dumas ", comme le surnomme Jean-Louis Bory dans son livre Les trois Glorieuses ? À force de crier au loup... Sauf que cette fois-ci, Dumas avait raison. On le sait depuis peu, grâce à Olivier Courcelle, mathématicien, passionné d'Évariste et fouilleur d'archives émérite, qui a définitivement fait sauter le couvercle du secret (qui portait les soupçons sur Ernest Duchâtelet) en dénichant une mention manuscrite de Samuel-Louis Larguier des Bancels - citoyen Suisse qui étudiait la médecine à Paris -, figurant sur un exemplaire de la Constitution de 1791 corroborant, en quelques mots, la déclaration du grand Alex :






Je laisse à chacun le plaisir de découvrir la démarche d'Olivier Courcelle, grâce à ce lien.


Aussitôt mort, Évariste, aussitôt oublié. Ton génie réclamait encore quelques années de décantation dans le silence et l'obscurité pour secouer la poussière de tes sandales, accumulée sur tes chemins de tumulte, avant d'éclore et d'apparaître enfin dans sa pleine majesté.


Jacques Cassabois

septembre 2019

 



2  Les 19 accusés avaient été acquittés le 15 avril 1831(le procès avait débuté le 6), par le jury de la cour d’assises qui s’était laissé emberlificoté par les arguments des avocats de la défense et des accusés eux-mêmes. C’est pour fêter cet acquittement qu’un banquet s’était tenu le 9 mai 1831, au restaurant Les Vendanges de Bourgogne, au cours duquel Évariste porta son fameux et funeste toast à Louis-Philippe. Je développe évidemment cette scène dans : JE N’AI PAS LE TEMPS, LE ROMAN TUMULTUEUX D’ÉVARISTE GALOIS.


Les funérailles lamentables d’Evariste Galois

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