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Maj le 13/10/2022

Entretien avec les élèves du lycée Louis Massignon de Casablanca, conduits par Claire Beaumont, professeur de lettres, et Lionel Astruc, professeur de mathématiques Ah, que la pédagogie est belle et féconde grâce aux projets interdisciplinaires !

Je n'ai rien choisi du tout. J'ai répondu à une proposition qu'on m'a faite. Il s'agissait d'écrire un roman qui s'inspirerait de la vie d'Évariste Galois. J'ai bien dit : s'inspirerait.

Je ne connaissais pas Évariste Galois. J'en avais juste entendu parler et je savais vaguement que les maths avaient forgé sa notoriété. Rien donc qui puisse m'attirer, car je ne comprenais rien aux maths (ce qui n'a pas changé). Sauf que l'éditrice, Laurence D, qui m'avait pressenti pour ce projet me parla d'Évariste en des termes passionnés qui mirent le feu à mes poudres. Des termes stéréotypés, pourtant, qui relayaient les conventions d'usage, mais tellement enflammés : le " Rimbaud des maths ", le génie incompris, le contestataire républicain, qui a fait de la prison, qui est mort à 20 ans, un duel, une femme... bref, tout ce qu'il fallait pour me ferrer, moi, novice enthousiaste, dès la première touche. Pensez, elle avait comparé ce Galois à Rimbaud, l'initiateur de mes 16 ans qui m'avait attiré durablement sur les chemins de l'écriture.

Immédiatement, j'ai eu envie d'en savoir plus sur ce gaillard et j'ai répondu quelque chose comme : " Banco, j'achète ! " J'étais prêt à foncer, à m'immerger dans cette vie pour en savoir plus et le plus vite possible. Cet enthousiasme m'aida à oublier provisoirement la question des maths. Je ne savais pas encore qu'il allait me coûter bonbon ! Bonbon en temps, en questions insondables, bonbon en efforts, en angoisses, en découragements. Cela se passait début 1998.


À ce moment-là, vous vous souvenez, quand on s'est rencontrés le 14 avril, je vous ai demandé :

- Quel âge aviez-vous en 1998 ?  

Et vous avez ri. Vous n'étiez pas nés. Ensuite vous êtes passés à la question suivante.


Chers vigoureux jeunes gens,

Très chères vaillantes jeunes filles,

du lycée Louis Massignon de Casablanca.


Nous voici le 15 mai et cela fait déjà un mois que nous nous sommes rencontrés.

Vous avez assisté en direct à ma déception, lorsque j'ai découvert ma funeste étourderie, cinq minutes avant la fin de notre séance. Mon dictaphone que j'avais oublié de déclencher... Vous vous souvenez ? Il ne resterait donc de notre échange que des souvenirs qui allaient bientôt disparaître. Cela a beau être toujours ainsi, je ne pouvais pas l'accepter.

Que faire ?

J'ai commencé par m'en vouloir pendant plusieurs jours, ruminant l'idée que c'était cuit, que j'étais un incurable étourdi et qu'il valait mieux tout laisser tomber. Allez, hop ! On tourne la page et on, oublie ! Mon œil, on n'oublie jamais un échec !

Alors une autre idée m'est venue : j'allais rejouer notre rencontre, mais sans vous. J'écrirais mes réponses, puis je les enregistrerais. J'ai essayé et j'ai vite renoncé. Trop artificiel !

Je ne voyais plus qu'une solution : écrire mes réponses, comme si nous ne nous étions jamais rencontrés, en reprenant tout depuis le commencement et vous les envoyer. C'était la meilleure décision. Il ne restait plus qu'à l'appliquer.


Et aujourd'hui, nous atteignons la ligne d'arrivée.


Avant de la franchir, je voudrais vous faire observer une chose. Si je m'étais entêté à l'étape " on-tourne-la-page-et-on-oublie ", je ne serais pas en train de vous écrire… et ce serait bien dommage, car je constate à me relire que mes propos écrits sont plus complets que n'étaient mes réponses orales.

J'ai pris le temps de réfléchir, de construire. L'oral ne permet pas cela. Avec lui, c'est vite fait, pas toujours bien fait. Tant pis, les mots se sont envolés : verba volent ! L'oral c'est comme la restauration rapide : pas très équilibré, vite cuit, vite consommé, vite digéré ! Alors que les mots écrits, eux, restent : scripta manent ! On peut y revenir, mieux les comprendre et les assimiler, quand les autres ont disparu depuis longtemps.


Et puis, vous savez-quoi ? J'ai observé que quand on parle, on dit ce que l'on sait. Quand on écrit on se surprend à dire des choses que l'on ignorait, qu'on ne se savait pas connaître !

Autrement dit, à l'oral on se répète ; à l'écrit, on s'enseigne.


Bonne lecture et, si vous avez besoin de précisions, n'hésitez pas. Madame Beaumont sera une parfaite messagère.


Je vous souhaite de poursuivre votre année jusqu'au meilleur terme qui soit et vous adresse mes encouragements ainsi que mes plus chaleureuses pensées,


Jacques Cassabois




Finalement, je crois que le petit croche-pied de mon étourderie était finalement une bénédiction.

1 - Pourquoi avoir choisi particulièrement la personne d'Evariste Galois ? Et pourquoi le choix d'un mathématicien ? En effet, quand on regarde l'ensemble de vos ouvrages, on constate que les thématiques sont davantage mythologiques et littéraires.

Démarche, oui. Votre question est justement formulée, car je ne suis pas historien. Je suis simplement curieux et j'ai le goût de la précision. Donc, pour éviter erreurs et bourdes en tous genres, je me renseigne auprès des spécialistes de mon sujet, tels les historiens qui ont une vue d'ensemble d'une période. Ils en connaissent les causes et nous permettent d'en comprendre les conséquences. Ils en ont une bonne représentation, ils sont précieux, mais ils ne sont pas infaillibles. Fréquenter le travail des spécialistes a ceci d'utile qu'il vous permet de vous en rendre compte. Il arrive qu'ils se trompent, commettent des erreurs d'interprétation, mais aussi des erreurs banales sur des faits, des chronologies, de mauvaise identification d'un document important. Au cours de mon travail sur Évariste Galois j'ai décelé des erreurs chez tous ceux que l'ai lus, y compris chez ceux qui avaient écrit les livres les plus pertinents et les mieux documentés. Quand je trouvais une contradiction avec ma propre documentation, je commençais par me donner tort. Un détail m'avait échappé certainement, car je ne pouvais pas, moi, non-spécialiste, si peu diplômé, avoir raison face à un docteur. Puis, vérification opérée, j'étais bien obligé de me rendre à l'évidence : ce n'était pas moi qui me trompais.

Ces erreurs sont utiles. Elles ne remettent aucunement en question la fiabilité des savants, mais elles vous décomplexent un peu. Surtout, elles vous invitent à la vigilance et à davantage d'exigence dans vos recherches. Recouper différentes sources est absolument indispensable.

À côté des historiens, se trouvent aussi les archives qui portent des témoignages. Elles relatent des faits, des fragments qui ont besoin d'être interprétés et compris. Tous ces fragments forment une sorte de paysage qu'on appelle, parfois hâtivement, la vérité. LA vérité historique, dit-on avec autorité, laquelle n'est bien souvent que la vérité provisoire d'un instant.

2 - On a d'ailleurs pu percevoir dans votre roman la démarche d'un historien, est-ce le cas ?

Longtemps ! Le travail a duré longtemps ; en profondeur, inconscient, silencieux, et en surface. Mais je commence par répondre à votre question sur les archives.

Celles que j’ai consultées sont des archives publiques, ouvertes à tous : bibliothèque nationale, bibliothèque historique de la ville de Paris, archives nationales, archives de la ville de Paris, de la préfecture de police, de l’école Polytechnique. J’ai aussi consulté les archives municipales de Bourg-la-Reine, ville où a vécu la famille Galois. C’est d’ailleurs par là que j’ai commencé mes recherches. J’en avais profité pour demander si Évariste avait encore des descendants (donc en 1998). Mon interlocuteur, qui était conseiller municipal et connaissait bien la vie d’Évariste, m’avait répondu que oui, mais qu’ils ne voulaient recevoir personne au sujet de leur illustre ancêtre. Vingt ans plus tard, en septembre 2018, alors que j’approchais du terme de mon roman, j’ai appris l’existence d’une Association des Amis d’Évariste Galois (ADAEG), créée quelques semaines auparavant, dont le président était un arrière-arrière-petit-neveu d’Évariste.

— À la bonne heure ! me suis-je dit. La famille est de retour…


Il faut savoir que tous les documents publics ne sont pas forcément consultables. Certains, comme les Papiers de Galois, (c’est le nom qu’on donne à l’œuvre manuscrite d’Évariste), conservés à la bibliothèque de l’Institut de France, ne sont plus ouverts à la consultation publique. C’est une mesure de protection. Ce document unique est ultra-précieux. L’exposer à la lumière, aux doigts des lecteurs, l’endommagerait à coup sûr. Donc on interdit l’accès à de tels trésors. Évidemment, si vous avez un statut de chercheur, que vous êtes appuyé par des personnes qui font autorité et que vous menez un projet susceptible de faire progresser la connaissance de l’inventeur de ce trésor, on vous en autorisera l’accès, mais avec mille précautions. Ce n’était pas mon cas. Je n’ai donc pas vu les authentiques manuscrits d’Évariste, mais j’ai néanmoins pu consulter et travailler sur les Papiers microfilmés, numérisés, mais d’une lisibilité détestable et accessibles en ligne (utilisez ce lien et jetez-y un œil ; c’est passionnant). Cela me suffisait néanmoins, car j’avais acheté l’œuvre publiée d’Évariste et je pouvais comparer texte manuscrit et texte imprimé, repérer, m’exclamer !


Je connais enfin une autre sorte d’archives publiques : celles qui sont parfaitement consultables, mais auxquelles on vous interdit d’accéder, sans raison, parce que vous vous heurtez à un fonctionnaire désobligeant qui ne veut pas vous renseigner et parce que vous êtes perçu comme une personne sans intérêt. Je vous étonne, n’est-ce pas ? Mais ces archives existent bel et bien. Je fais allusion ici à celles qui sont sous la tutelle de l’administration des cimetières de la ville de Paris.

J’avais téléphoné au service responsable du cimetière Montparnasse où Évariste avait été inhumé. Je voulais connaître l’identité de ses compagnons de fosse commune, espérant que leurs noms me révéleraient des faits que j’ignorais. Mais il m’a été impossible de franchir l’obstacle de la mauvaise volonté de mon interlocutrice qui m’objectait des raisons du type : « Ces informations sont confidentielles, on ne peut pas les communiquer. » Ou encore, parce que j’insistais : « De toute façon, vous pensez bien, monsieur, qu’on ne peut pas savoir qui était dans une fosse commune ! »

Bref, la dame me mentait, effrontément, comme les gens qui sont sûrs de vous tenir sous leur coupe. Je m’y attendais, car j’avais été prévenu par un prédécesseur qui avait subi la même déconvenue que moi, justement à propos de la tombe collective d’Évariste. Ce mensonge était d’autant plus flagrant que, quelques mois après ma tentative, j’ai appris que l’ADAEG avait pu obtenir ces renseignements. Comment ? Vraisemblablement par la grâce d’une autorité supérieure (un élu de la ville de Paris ?) devant laquelle mon Cerbère inflexible avait dû rentrer ses griffes.

Hélas, à ce jour, l’ADAEG n’a toujours pas publié ces informations sur son site. C’est bien dommage !


Voilà donc quelques exemples d’obstacles qui compliquent votre travail. Il y en a d’autres, parce que les obstacles étant inhérents à toute recherche, on en rencontre sans cesse. Lorsque vous en avez franchi un, dix autres vous attendent. Je vous ai parlé de l’obstacle mathématique, mais il y a aussi les incertitudes sur tel ou tel épisode de la vie d’Évariste, sur ses relations avec sa famille, sur la résidence de madame Galois après la mort de son mari, les relations d’Évariste avec les mathématiciens de son temps (où a-t-il rencontré Cauchy ? Dans quelles circonstances ?), la pension Galois de Bourg-la-Reine, la vie à Louis-le-Grand, à l’école préparatoire, dans les prisons, les immeubles de Paris, les rues, l’organisation des duels, le choléra… Je m’arrête là. Tous les détails que vous trouvez dans mon livre ont été, à un moment, des obstacles que j’ai dû aplanir ou… contourner.


Pour accéder aux sources documentaires, c’est simple : on prend contact avec les grandes institutions (bibliothèques, archives…) et on s’y rend. Il existe aussi les fonds d’ouvrages numérisés. Je viens d’évoquer les papiers de Galois consultables sur le site de la bibliothèque de l’Institut de France. Il y a aussi le fonds Gallica, de la Bibliothèque Nationale de France (BNF). Ce fonds très riche m’a fait gagner un temps considérable. Tous les livres que j’avais consultés en 1998 en me rendant à Paris, étaient accessibles en ligne en 2017. J’ai pu tous les télécharger. Vous imaginez, la quantité d’heures récupérées sur les transports, sur les files d’attente pour obtenir un document, les grèves imprévues du personnel qui vous fusillent votre journée de travail (cf. Archives nationales en juin 1998 et la BNF à l’ouverture sur le site de Tolbiac), etc.


Maintenant, retour à votre première question : Combien de temps ont duré la rédaction et les recherches ?

Réponse : 21 ans ! Pour arriver au bout de ce projet et présenter un texte publiable : 21 ans !


Précision nécessaire et retour à 1998.

Après avoir employé tous mes temps libres et autres congés de cette fiévreuse année de recherche sur Évariste, j’avais remis, à l’éditrice qui m’avait sollicité, une sorte de synopsis très détaillé, contenant des scènes dont j’avais jeté des ébauches à la volée. Quand elle en eut pris connaissance, elle me dit :

— Jacques, vous avez là de quoi faire une formidable biographie d’Évariste Galois, mais… ce n’est pas ce que je vous ai demandé.

Elle était un peu ennuyée, moi pas, et je l’ai rassurée.

— Je sais, Laurence. Mais je n’ai pas pu me défaire d’Évariste. C’est lui qui m’intéresse.

On s’est quittés bons amis, évidemment, et je suis rentré chez moi. Comme je me sentais incapable d’aller plus loin, j’ai rangé toute ma doc dans un cartons d’archives que j’ai monté au grenier. Je n’étais pas fier de moi, mais en même temps j’étais soulagé. Ouf ! l’épisode Galois était terminé. Je me trompais lourdement.  

Une année de perdue ? Certainement pas, car ensuite la vie continue… avec d’autres projets qui se présentent, d’autres livres, et, de loin en loin, une nostalgie fracassante qui me saisit, m’oblige à remonter au grenier, à retrouver mon travail, à déplorer mon incapacité crasse à aller plus loin (Saleté de maths ! Saleté d’ignorance !), puis à tout replier.

Évariste était là, dans cette boîte de carton, et je me sentais lâche. J’avais une folle envie de parler de ce garçon, si beau, si déroutant, si bouillant d’une révolte que je comprenais. J’avais l’impression de le connaître intimement, comme si nous nous étions rencontrés jadis, comme si j’étais revenu des siècles passés avec une promesse que je lui avais faite et que je me révélais incapable d’honorer.

— Pas à la hauteur, ce mec ! Rien de bon à en tirer !

Je me détestais. Serais-je capable un jour ? Vous connaissez la réponse.


Ce que j’ignorais c’est que pendant tout ce temps occupé à d’autres livres, je me formais, mon expérience d’auteur évoluait. L’offre éditoriale sur Évariste évoluait, elle aussi, et lorsque je me suis remis au travail en 2017, je n’étais plus tout à fait le même et d’autres livres avaient vu le jour qui m’ont beaucoup aidé.


Pensez à cette évidence ! Demain est toujours un autre jour. Ce qui est hors de votre portée aujourd’hui, sera certainement possible demain. Donc, continuez à avancer, marchez vers les aurores qui vous attendent !

3 - Combien de temps ont duré la rédaction et vos recherches pour l'écriture du roman ? Comment avez-vous eu accès à toutes ces archives ? (Quelle est la procédure pour accéder aux documents auxquels vous vous êtes référé ?) Avez-vous rencontré des obstacles pendant vos recherches ?

4 - Vous êtes-vous inspiré d'autres œuvres écrites sur Évariste Galois ? Avez-vous lu les ouvrages que vous citez dans le roman, comme ceux de Lagrange ou Gauss ?

Oui, tous ces livres ont été des sources de documentation, qu’ils soient écrits par des historiens, des biographes ou des mathématiciens sur Évariste, mais aussi sur cette période précise du XIXe siècle, par des historiens spécialistes de la monarchie de Juillet, des Trois glorieuses, des mouvements politiques ou philosophiques, de l’urbanisme, etc. J’ai lu aussi des romans de Balzac et de Jules Vallès, mais aucun sur Évariste, même s’il y en a peu. Lorsque je récris des textes anciens (Gilgamesh, Antigone, Héraclès, Tristan et Iseut…) ou la vie d’un personnage historique (Jeanne d’Arc), je ne vais jamais voir ce que d’autres romanciers ont produit avant moi. C’est trop dangereux. Je ne sais pas encore ce que je vais construire, alors que les autres ont déjà terminé. En d’autres termes, je suis devant une masse de questions auxquelles je ne sais pas encore répondre et je ne veux pas m’exposer à ceux qui ont déjà tout résolu ! Je ne veux pas connaître leurs solutions, leurs choix. Je ne veux pas me laisser influencer par eux. Je me préserve. Je préfère l’incertitude, le doute, la lente progression à la recherche d’indices qui vont façonner ma vérité, même si cela me prend un temps fou, plutôt que d’emprunter des raccourcis en allant voir comment les autres ont fait. Non, je n’ai jamais dérogé à cette règle pour aucun des sujets que j’ai traités.


Les raccourcis sont le plus sûr moyen de nous égarer.

Lorsque j’ai terminé, je veux pouvoir dire : voici comment je vois tel personnage, voici ce que j’ai tiré de ma documentation, de mes recherches, de ma réflexion, de ma sensibilité ! J’ai commis des erreurs, je ne suis pas infaillible, mais ce livre est MON livre. J’en suis l’auteur. Mon travail est original, au sens étymologique du terme. J’en suis l’origine. Je suis LÉ-GI-TIME !

La question de la légitimité est cruciale

quand on est, comme moi, un ignorant qui s’aventure dans le monde des savants. En effet, être un amateur et oser pénétrer sans laisser-passer dans un milieu fermé où déambulent les maîtres d’une spécialité, c’est un peu comme être un maraudeur qui saute la barrière d’un verger. Vous risquez de prendre du plomb, sauf si vous avez à faire à un propriétaire bienveillant. C’est rare, mais ils existent ; j’en ai rencontré (je cite toujours l’assyriologue Jean Bottéro). Il y a aussi les propriétaires qui ferment les yeux parce qu’ils vous trouvent insignifiant. Dans ce cas, vous n’avez à craindre que l’indifférence, ce qui est parfois pire. Contre une carabine, en effet, vous pouvez toujours être dans la ligne de mire d’un tireur maladroit. L’indifférence, elle, ne rate jamais sa cible.


Les candides sont toujours très attendrissants. On leur pardonne leurs erreurs de novices, à condition qu’ils restent à leur place. S’ils ont l’impudence de parler pour faire entendre leur voix dans le domaine des dieux, ils se font dézinguer comme des faisans d’élevage.


En ce qui concerne les auteurs que vous citez, je n’ai pas approché Gauss (je n’avais pas besoin de lui). J’ai, non pas lu, mais consulté, un livre de Lagrange (Réflexions) et évidemment les Éléments de géométrie de Legendre.

Pour aborder Lagrange, j’ai utilisé l’analyse que faisait une mathématicienne, également historienne, de la façon de travailler d’Évariste et j’ai essayé de trouver quels passages auraient pu lui donner l’idée de se lancer dans une recherche initiée par Lagrange. C’est ainsi que je suis tombé sur un paragraphe qui évoque le « problème de la résolution des équations des degrés supérieurs au quatrième », qui a été une des obsessions d’Évariste (cette citation se trouve page 31 de l’édition brochée de mon livre et 39 de la version poche.)

Je vous assure que je jubilais d’être tombé sur ce passage. J’allais pouvoir m’en servir pour rendre vivante la réflexion d’Évariste. Quant à savoir si c’est bien cette remarque-là qui lui a donné l’idée de se lancer dans cette recherche, personne ne peut le dire et cela n’avait aucune importance pour moi. Seule comptait la découverte d’un détail vrai sur lequel m’appuyer pour rendre mon récit vraisemblable.

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