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Maj le 13/10/2022

Entretien avec les élèves du lycée Louis Massignon de Casablanca

Commencer par la dernière nuit s’est imposé à moi dès 1998. J’avais écrit une première ébauche de cette scène dans le synopsis que j’avais élaboré à cette époque. J’avais envie d’annoncer la couleur, d’entrer immédiatement dans le drame en lançant un avertissement : « Attention ! Ici, vous n’êtes pas dans une histoire à l’eau de rose. Vous entrez dans une jeune vie massacrée où l’injustice, la poisse récurrente et la révolte règnent en maîtres ! »

J’ai conservé cette option dans ma version de 2017.

Ensuite, comme vous le savez, je me suis positionné sur le grand tournant de la vie d’Évariste : sa découverte des mathématiques à 15 ans et demi, début 1827 ; celui à partir duquel son caractère a changé. De là, toute la suite découlait et je me suis attaché à suivre ses pas, scrupuleusement, puisant parmi les événements avérés, et même documentés pour certains, mais aussi dans ce vivier de faits sur lesquels on ne possède aucun détail et qu’il faut alors imaginer. Tous m’ont servi à élaborer une ligne dramatique sur laquelle j’ai architecturé mon récit.


Avant d’aller plus loin, je voudrais vous faire observer le poème d’Arthur Rimbaud, intitulé : Roman. Il y est question du bouleversement qui nous saisit vers 16 - 17 ans… Cet instant décisif, charnière de nos existences, où l’envie soudain nous prend de battre des ailes. Un seul pas de côté et tout change. « Petit pas pour l’homme … » Cela nous tombe sur le dos sans crier gare.

Voici le premier quatrain du poème. Vous le connaissez certainement :


On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.

– Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,

Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !

– On va sous les tilleuls verts de la promenade.


Autrement dit, subitement on se met à dédaigner (foin de : expression tombée en désuétude) ce que l’on appréciait jusqu’alors : la bière, la limonade et les cafés tapageurs, ou pour mieux dire, stop aux plans défonce dans les fêtes alcoolisées ! Et pour leur préférer quoi ? Les tilleuls verts de la promenade… Caramba ! Changement radical ! Un pas, je vous ai dit. Juste un pas. Et l’effet est immédiat, comme l’annonce le quatrain suivant :


[…] Dix-sept ans ! – On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête…
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là
[…]


Un séisme, une ivresse qui vous met la tête à l’envers, un grand remue-ménage intérieur !  Et cette trémulation de l’être que décrit Rimbaud est exactement l’état dans lequel se trouve Évariste, quand il fait ce fameux pas de côté et qu’il découvre… la Géométrie de Legendre !

Il faut atteindre la fin du poème pour apprendre que cette griserie, annoncée par le poète, est celle de l’amour. Pour Évariste c’est de l’amour pour les mathématiques qu’il s’agit. Folle passion qui ne lui laissera aucun répit. Ce que son maître d’études traduisait sur son carnet de notes par la mention :


« La fureur des mathématiques le domine. »

6 - Comment avez-vous procédé pour structurer votre roman ? Pour savoir par quoi vous alliez commencer (là en l'occurrence, par sa dernière nuit avant son décès) ?

C’est le côté humain du personnage qui m’a le plus intéressé. Il contient, dans un amalgame inextricable, le mathématicien et le politique. Certains auteurs se sont demandés s’il était un patriote mathématicien ou plutôt un mathématicien militant ! Question sans aucun intérêt, comme de discuter sur le sexe des anges !


Ai-je plus mis en avant le patriote que le mathématicien ? Sans doute, et pour diverses raisons. D’abord il n’était pas question que j’écrive un livre de maths. Je n’en ai pas la compétence et il y en existe d’excellents. Mais surtout, j’aime Évariste et je voulais le faire aimer hors du périmètre de la science mathématique où il est un total inconnu. J’ai donc mis l’accent sur ce qui m’émouvait, me fascinait, me tendait un miroir dans lequel j’apercevais mon reflet derrière le sien, parce que c’était le meilleur moyen de retenir, d’émouvoir et de tendre ce miroir à des personnes qui ne le connaissent pas, pour qu’elles s’y retrouvent malgré l’effet repoussoir des mathématiques.

Je pensais que c’était par sa vie, les drames familiaux qu’il a connus, ses échecs scolaires 2, ses déconvenues « professionnelles », provoqués par des négligences, par la poisse, par les habitudes d’une société où il est difficile de se faire reconnaître par ses propres moyens, sans personne pour déblayer la route devant soi.

Et comme il passe beaucoup de temps à militer, ses « faits d’armes » qui occupent une place importante dans sa vie, se retrouvent obligatoirement dans mes choix.

7- Du fait que le personnage ait eu une courte vie, chaque événement a compté. Vous avez dû néanmoins faire des choix et vous avez insisté sur son engagement politique. Pour quelles raisons ? D'ailleurs est-ce plus le côté mathématicien ou politique du personnage qui vous a intéressé ?

8 - Pour ce qui est de la personnalité d'Evariste, nous avons ressenti que c'était quelqu'un d'égocentrique, qui se remettait peu en question. On a émis l'hypothèse qu'en réalité il ne pouvait pas en être autrement car son ambition avait pour origine la volonté de faire honneur à son père. Qu'en pensez-vous ?

Égocentrique ? Oui, comme un artiste, comme un créateur ; comme un adolescent aussi. On peut dire les choses de cette manière. Mais souvenons-nous qu’il est porteur d’une œuvre dont il doit accoucher. Il n’est pas né pour suivre une voie déjà tracée, mais pour changer la face des mathématiques. Il sent profondément la force de cette mission. Il est un précurseur, un créateur de monde.

Quand il travaille il est dans un état d’urgence mathématique !

Cela peut donner l’impression qu’il n’écoute personne, qu’il refuse de se remettre en question. Mais en réalité, ce sont les mathématiciens établis dans le confort de leurs carrières, dans la routine de leurs visions scientifiques, de leurs positions sociales, qui ne l’écoutent pas, qui ne peuvent pas le comprendre (peut-être qu’au fond, c’est un refus inconscient de donner raison à ce gamin insolent qui les aveugle). Ce sont eux, plutôt, qui ne parviennent pas à se remettre en question.


Non, son ambition n’a pas pour origine, selon moi, la volonté de faire honneur à son père dont la perte a eu, c’est évident, des conséquences ravageuses. Son père qui « était tout pour lui », comme il l’avoue à Raspail, l’aurait stabilisé s’il avait vécu, se serait fait écouter, aurait empêché son fils de se brûler les ailes, comme Icare. Le suicide de monsieur Galois a déchiqueté le cœur d’Évariste, armé sa révolte, l’a jeté à corps perdu dans le militantisme républicain, où il pouvait le mieux régler ses comptes avec ceux qui l’avaient rendu orphelin.


Je trouve d’ailleurs que les auteurs de biographies sur Évariste passent sur ce drame majeur sans trop s’y attarder, faisant preuve de beaucoup de légèreté, comme s’ils n’avaient jamais affronté la violence d’un deuil.

C’est quand il faut traduire en profondeur la répercussion de tels événements qu’on mesure la différence entre la biographie et le roman, que tant de beaux esprits dénigrent hardiment sous prétexte que celui-ci appartient au domaine subjectif de la littérature.

Le roman reconstitue la vie avec du souffle, des battements de cœur, des larmes, de la colère. Pour écrire un roman biographique, le travail de recherche du biographe est nécessaire, mais on ne peut s’en satisfaire. Il faut y ajouter les palpitations de chaque instant pour que chaque personnage prenne chair, communier à sa rage, à son exaltation et trembler.

Comprendre uniquement par les voies de la raison est une insulte à la souffrance !


Pour conclure sur votre question, l’ambition d’Évariste c’est le carburant qui lui permet de s’acharner à produire, dans le fracas de sa vie, l’œuvre de précurseur qu’il porte en lui.

9 - Evariste Galois semble très entouré par des amis, des connaissances et peut paraître parfois froid et isolé. Qu'en est-il ?

Non, il n’est pas froid, pas du tout ! Il est ailleurs, intériorisé, verrouillé dans sa réflexion. Certes, Évariste est constamment entouré de camarades notamment dans ses activités militantes, mais quand il travaille il est seul, il plonge dans un état de concentration impénétrable. Je l’ai décrit ainsi dans la cour de la prison Sainte-Pélagie, parce qu’il parvenait à s’isoler dans n’importe quel milieu, n’importe quelles conditions. Capable d’être seul au milieu d’une foule, il pouvait aussi concevoir un théorème dans le vacarme d’une manifestation. Vous le voyez ici, en réalité il est déjà ailleurs. Son corps matériel atteste d’une présence minimale, mais ses pensées ont gagné l’Olympe, où il se trouve parmi les maîtres d’hier, mathématiciens, astronomes, philosophes…

Capable de rester absorbé pendant des heures par les beaux problèmes mathématiques dont il comprenait l’importance, attiré vers des lois fondamentales par les déductions fulgurantes de son génie.

Alors évidemment, dans ces cas-là, rien ni personne n’a la moindre prise sur lui. Le quotidien et ses préoccupations humaines, partisanes, deviennent secondaires, triviales.


Évariste ressemble à l’albatros de Baudelaire.

« Prince des nuées » dans le ciel, maladroit sur la terre car ses « ailes de géant l’empêchent de marcher ».

Quand il redevient humain, si j’ose dire, hors des mathématiques, il se défoule comme un gosse turbulent qui ne connaît plus ses limites. Il s’adonne à des agaceries de tireur de sonnettes (manifestation de soutien aux Polonais devant l’ambassade de Russie), qui peuvent tourner au vinaigre sans crier gare, comme dans l’affaire des écoles (fin janvier 1831), pour arriver à la provocation de trop avec le toast des Vendanges de Bourgogne (9 mai 1831).


Avez-vous déjà vu le film Amadeus de Milos Forman ? On y découvre un Mozart galopin, facétieux, multipliant les cabrioles et les insolences hilares. Évariste me fait penser à lui, ou à Einstein, sur ce fameux cliché où il tire la langue. Il y a la même sorte de spontanéité provocatrice chez Évariste — typique du toast à Louis-Philippe —, sauf que la provocation espiègle de Mozart s’est transformée chez Évariste en rébellion vengeresse, avec pour toile de fond un horizon tragique.

Les deux sont liés. La découverte de sa vocation mathématique a métamorphosé Évariste, balayant l’enfant sage et discipliné. Sa volonté de défendre son choix l’a forcé à batailler un peu, alors que ses parents, sa mère surtout, rêvait d’une autre carrière pour lui. La voie des sciences n’était pas celle de la réussite sociale à cette époque et ses parents préféraient le droit, vous le savez.

Dans les familles bourgeoises cultivées, les choix d’orientation se déroulaient souvent de cette manière. Les parents indiquaient la direction, les enfants, sauf exception, obéissaient, tout comme aujourd’hui, dans certaines familles patriarcales autoritaires, les parents continuent à choisir les époux des filles et les marient sans qu’elles aient voix au chapitre.


On peut dire que madame Galois, avec son fils, est tombée sur un os ! Elle a pris en charge son instruction jusqu’à ce qu’il atteigne 12 ans. Elle était fière de lui, d’elle-même aussi. Il portait ses espoirs de réussite, mais hélas, un jour il lui a échappé, comme la plupart du temps, les enfants échappent à leurs parents. Il a ouvert une brèche dans la muraille qu’elle avait érigée. C’est par là que les maths se sont engouffrées pour le lui enlever.

C’est pour cette raison que j’ai fait dire à madame Galois, le jour où Évariste est renvoyé de l’école préparatoire, le 9 décembre 1830 :

« Je hais ces mathématiques par quoi le mal est arrivé. »


La vie d’Évariste n’est ni plus ni moins que la vie d’un adolescent rebelle comme il en existe des myriades, à la différence que celui-ci était un génie authentique. Ce qui, reconnaissez-le,  n’est pas si courant que cela.



Jacques Cassabois

mai 2021

10 - Nous avons été sensibles à la relation qu'il entretenait avec ses parents. Sa relation avec sa mère se dégrade-t-elle à cause des mathématiques ou de son caractère ?

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Demandé ? Oui. Reçu ? Oui… mais pas celle que j’attendais. Explications.


Je vous ai dit plus haut mon incurable déficience en mathématiques. Après avoir descendu mon carton d’archives du grenier pour la troisième fois avec l’espoir que cette tentative serait la bonne, après m’être réapproprié une partie de son contenu, j’ai retrouvé le monstre mathématique intact, prêt à me dévorer.

— Même pas peur ! je lui ai jeté à la gueule, cette fois-ci.

Et pour bien lui montrer que je n’étais pas décidé à me laisser intimider, j’ai décidé d’oser appeler à l’aide. J’ai aussitôt écrit une lettre à un mathématicien imaginaire, (je ne savais pas encore à qui j’allais l’adresser) pour lui parler de mon projet et lui demander des détails sur la question qui me hantait à l’époque : le concours d’entrée à Polytechnique de 1829.


Il se trouve que la sœur d’une amie avait un ami qui avait un ami… susceptible de répondre à mes questions. Cet ami d’ami de sœur d’amie connaissait bien l’œuvre d’Évariste Galois, puisqu’il l’enseignait à l’université de Rennes (ville importante de Bretagne). Mon courrier a transité jusqu’à lui par cette chaîne d’amis et il m’a répondu. Il ne s’est pas étendu sur la question posée à Évariste (elle concernait les logarithmes), et il a bien fait. Il m’a au contraire essentiellement parlé d’Évariste, de sa façon de le percevoir, d’imaginer ce fameux concours, du duel aussi, de l’engagement républicain, confié ce qu’il en pensait. Il me tenait un langage sensible, rationnel, logique, évitant d’entrer dans le détail mathématique de l’épreuve. En fait, le seul langage que j’étais capable de comprendre. Je lui ai récrit. Il m’a répondu à nouveau, un dernier mail dans lequel il me disait :


« Je vois que vous ressentez très fort tout ce qui a pu toucher à Galois ; vous avez des choses à dire à ce sujet, je vous laisse trouver exactement ce que vous voulez. »


Non, ce n’était pas une feinte destinée à se débarrasser d’un type avec qui il n’avait pas de temps à perdre. C’était la réponse la plus juste qu’il pouvait me fournir. La réponse de la CONFIANCE ! Vous comprenez, amis de Casablanca ? Ce professeur me disait :  


— Vous savez ! La réponse est en vous. Vous allez la trouver. Vous n’avez pas besoin de moi.


Vous imaginez cela ?

Ces paroles m’ont électrisé. Je l’ai cru ! Il fallait que j’apprenne à avoir confiance en mes capacités. J’étais une mine. Il suffisait simplement que je pioche et, pour la première fois, j’ai regardé la bête mathématique différemment.

Vous êtes-vous déjà trouvés dans une telle situation, très chers 1  ? Avez-vous déjà perçu en vous des facultés endormies dont la présence cachée vous enflammait et dont votre impuissance à les réveiller vous désespérait ? C’est comme un trésor enfoui dans une pièce inconnue de votre propre demeure que vous êtes incapable d’exhumer. Vous tâtonnez dans l’obscurité d’un tunnel, sans repères et soudain une lueur point. Oh pas l’illumination ! Juste une lueur, mais tout change déjà.


Vous aussi, vous êtes des mines. Piochez !


Alors, aussitôt requinqué, je suis reparti de l’avant pour m’affermir davantage. Et qu’ai-je fait ? J’ai envoyé mon courrier à un autre matheux, ben tiens ! Un cador, celui-là. Très connu dans son milieu, talent mirobolant, prix internationaux et tout le tremblement, et comme il avait élu domicile sur les rives pestilentielles du marécage de la politique, sa notoriété débordait maintenant sur les terres habitées par les citoyens ordinaires. Bref, Ze big ouane ! Sauf que cette-fois-ci, je ne disposais d’aucun pisteur bienveillant pour m’ouvrir le passage. Et que pensez-vous qu’il arriva ? Il ne me répondit pas évidemment.

— Qu’est-ce que tu croyais, pomme à l’eau ? me suis-je lancé à la figure.


Sous mes sarcasmes, je sentais déjà percer l’amertume, ses relents de déception, de rancœur désabusée. Vous connaissez aussi, ça… Tout le monde y passe et pas seulement une fois. Moi, ça m’a cloué net :

— Stop, j’ai dit ! Voie sans issue. Y’a rien à gagner en passant par-là, garçon ! La réponse que tu espérais de ce type est dans son silence ! Écoute-le, comprends-le !

Et, à cet instant, j’ai perçu l’avertissement d’une voix moqueuse qui me triturait :


— Je t’ai déjà donné ta juste part, mon pote ! Tu n’as besoin de rien d’autre. Maintenant, au boulot !


Et j’ai obtempéré, sans plus m’attarder !

5 - Avez-vous demandé et reçu de l'aide de la part de mathématiciens ?

1 -   J’utilise ici un masculin général qui a valeur de neutre et qui inclut les filles comme les garçons. Je n’utiliserai donc pas la forme visqueuse de démagogie militante qu’est l’écriture inclusive, tellement prisée par toutes sortes de tonitruants. Je n’ai pas besoin de gesticulations idéologiques pour affirmer que je regarde chacun, homme ou femme, fille ou garçon, avec un égal respect.

2 -   Souvenez-vous qu'il a redoublé sa seconde et que c'est à l'occasion de ce redoublement qu'il a découvert les mathématiques.

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Monsieur Cassabois,

Un grand et chaleureux MERCI à vous ; pour votre disponibilité, votre gentillesse et pour toute l'attention et la bienveillance que vous avez pu avoir à notre égard. L'histoire de l'écriture de votre ouvrage "Je n'ai pas le temps" sur Evariste Galois m'a énormément intéressée, et surtout, certaines de vos paroles m'ont extrêmement touchée. Je vous remercie grandement d'avoir pris le temps de répondre à nos questions, nous avons passé un excellent moment avec vous, malgré la distance qui nous sépare.

Il est rare de rencontrer des personnes aussi positives, authentiques, empreintes d'optimisme et valorisantes de l'autre.

Il est des rencontres qui marquent et je crois bien que celle-ci en est une.

Prenez soin de vous.

Rita


Monsieur Cassabois,

Je dois vous avouer que notre rencontre fut marquante pour moi autant que pour mes camarades et professeurs. Cet échange ne fut pas uniquement intéressant et riche, mais il était surtout humain. Outre les anecdotes et votre relation avec le personnage d'Evariste, nous avons rencontré quelqu'un de formidable. Et du haut de mes 15 années de vie, j'ai rarement rencontré ou échangé avec une personne aussi passionnée que vous. Cette petite réunion a été très marquante et, encore, je tenais à vous remercier sincèrement pour le temps précieux que vous nous avez accordé.

Gardez cette joie de vivre qui vous sied si bien et continuez de charmer votre entourage avec.

Amicalement

Mohamed

Chère Rita,

Cher Mohamed,


Merci beaucoup de vos courriers.

Madame Beaumont me les a fait parvenir le 2 juillet. Votre année scolaire se terminait et vous étiez alors tournés vers les vacances.


Vos beaux compliments me réjouissent, bien sûr, car je n’en reçois pas de tels si souvent. Ce qui est heureux, car la profusion banalise et dévalue.


Pour ma part, je vous souhaite non seulement de rencontrer beaucoup d’autres personnes dotées des vertus que vous m’attribuez, mais surtout de devenir à votre tour une femme et un homme dont on recherchera la compagnie et la conversation, autrement dit des personnes fréquentables au sens premier du mot.


Je ne connais pas ton âge Rita, mais il doit être sensiblement identique à celui de Mohamed qui me parle « du haut de ses 15 années de vie », comme il s’amuse à le dire et dont l’expression m’a bien plu. Quinze ans, en effet, est une altitude significative. 15.16.17 ans, tant d’événements essentiels font alors intrusion dans nos vies et qui nous façonnent à jamais. C’est à cette période qu’Arthur Rimbaud a laissé éclater son génie et que notre Évariste, souvenez-vous, a révélé sa force créatrice si radicalement novatrice.


Ton expression, Mohamed, m’a incliné à la songerie.


Et si ces jeunes amis, me suis-je dit en pensant à vous, étaient comme certains peuples de la terre le croient, de vieilles âmes en chemin, parcourant les civilisations depuis des millénaires et qui s’employaient par leurs actes et leurs pensées à faire évoluer leurs contemporains ?


Vu sous cet aspect, qui peut dire votre âge réel, celui de vos consciences ? Peut-être êtes-vous de vieux sages venus nous visiter incognito, profitant de la génération nouvelle, pour vous révéler un jour ou l’autre.


Tiens, cette idée pourrait être l’amorce d’un roman…


Parents et enfants, aïeux et descendants, nous avons tous à apprendre les uns des autres, tous à recevoir pour mieux donner.


Rita, Mohamed, qui avez pris la peine de m’écrire, portés par des sentiments d’une telle finesse, vos lettres m’ont touché. Soyez grandement remerciés.


Je vous souhaite de découvrir les trésors que vous portez et d’apprendre à en user avec droiture. Derrière nos silhouettes, il y a bien plus grand que nos apparences.



Jacques Cassabois



Vous ne lirez peut-être ces lignes qu’à la rentrée, mais quoi qu’il en soit, passez un bel été.