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Maj le 06/11/2022
Il suffit d'énoncer un principe général, pour qu'aussitôt les exceptions affluent. Le conte n'échappe pas à cette règle et je pose alors une question aux enfants.
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La question est difficile, elle ne contient pas la réponse. Il en faut de temps en temps. Les enfants se regardent, dubitatifs. Je précise, alors :
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Toujours pas de réactions. Les enfants réfléchissent. Je les aide.
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Je leur mets le nez sur le mystère. Normal, on passe dessus sans le voir. Les yeux s'allument aussitôt.
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« L’île, à laquelle on ne parvient qu’à l’issue d’une navigation ou d’un vol, est par excellence le symbole d’un centre spirituel, et plus précisément du centre spirituel primordial. »
Dictionnaire des symboles (île)
Les voyages sont tous construits sur le même schéma narratif.
1/ Sindbad prend la mer. La navigation se déroule sans encombre, lorsqu’un événement l’interrompt : escale de ravitaillement, tempête, attaque de pirates, courant irrésistible… Ces incidents de parcours, pour dramatiques qu’ils soient, ne sont pas les catastrophes majeures destinées à faire trembler le héros sur ses bases. Ils constituent une simple marche d’approche qui permet de couper Sindbad de ses compagnons, afin qu’il se retrouve seul, face à l’obstacle. Dans certains voyages, l’isolement est brutal, dans d’autres il se fait par des rebondissements successifs.
2/ L’affrontement à toujours lieu dans une île, lieu clos, pareil à un ring ou à un stade, un lieu de lutte, de compétition. Celui qui aborde cette île est donc confronté à une épreuve taillée sur mesure pour lui. Elle s’en prend à son énergie vitale, capable de « faire voler en éclats son parement de briques », comme dit l’Épopée de Gilgamesh, et il doit lui faire face avec ses propres ressources. Il ne peut donc en sortir que régénéré ou anéanti.
3/ Le combat terminé, Sindbad atteint une seconde île où il est accueilli, intégré et honoré. C’est là qu’il reçoit le prix de ses efforts.
4/ Enfin, la nostalgie le saisit et il regagne son pays.
Le retour à Bagdad est aussi paisible que l’aller a été mouvementé, sauf pour le septième voyage dont la structure est inversée. Je l’évoquerai plus loin.
Une seconde rafale fracassa le grand mât p.108
ill.de Gustave Doré
Ils criaient, tapaient sur des plateaux de cuivre p.31
ill. de Christophe Rouil
Ils me sortent la réponse tout de go. J'enchaîne :
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Ils l'avaient remarqué. Alors, sans m'attarder davantage, on se met à parler saillie, fécondations, in vitro, in vivo et des conséquences habituelles de l'événement. Lesquelles ?
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On entre dans le détail de la grossesse, l'œuf, la nidification, on évoque les mammifères, les oiseaux, et je poursuis :
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Dix doigts se lèvent, en tirant vers le plafond dix gamins, comme suspendus à la ligne d'un pêcheur invisible.
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Maître ! Ils m'ont déjà assimilé à leur instituteur… Et je les découvre aussi frémissants que je l'étais, quand, après une multitude de lectures, j'avais enfin découvert la fonction de cet œuf, habilement camouflé dans le récit par un narrateur génial. L'impression de tomber sur un diamant.
Ils sont près du but. Je ne les lâche pas.
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Sindbad
Frôlé par les couteaux tranchants de ses griffes p.59
ill. Christophe Rouil
Et je les conduis de questions en réponses jusqu'au cœur de l'énigme, au moment où Sindbad comprend qu'il se trouve dans le nid du Roc, qu'il va donc être littéralement couvé en même temps que l'œuf, donnant par la même occasion un sens à la fécondation de la jument.
Au commencement du conte, Sindbad qui a accepté le défi de la partance, assiste donc à sa propre conception qui nous amène en toute logique, et lui avec nous, à l'étape suivante : l'œuf, la couvaison, la naissance.
Et j'insiste en récapitulant, car nous sommes en train de poser les fondations du conte.
Les enfants écoutent, regardent cette nouvelle histoire apparaître sous la surface du conte palimpseste. Ils sont très à l'aise avec les symboles. Ils les manient avec facilité. En m'appuyant sur mon texte, je leur montre que ces sept voyages en mer nous font suivre Sindbad aux prises avec la reconstruction de sa vie, après destruction de la précédente symbolisée par l'héritage de ses parents qu'il a dilapidé en brûlant la chandelle par les deux bouts.
Après ses deux premiers voyages, Sindbad, poussin de Roc qui a brisé sa coquille, est prêt à… quitter son nid, et c'est le Roc qui l'emporte, attaché à ses serres, vers ses premiers combats d'homme nouveau-
Sindbad n'a pas largué les amarres en vain.
Je perdis de vue mon île, l'océan, la terre elle-
ill. de Nicole Baron
Les mille et une nuits -